Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
Resté des décennies sans bénéficier d’un traitement, un détenu à vie atteint d’une maladie mentale a été privé de toute perspective réaliste de libération
Dans son arrêt de Grande Chambre, les plus importants, rendu le 26 avril 2016 dans l’affaire Murray c. Pays-Bas (requête n°10511/10), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a en conséquence jugé, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Rappelons que selon une jurisprudence bien établie de la CEDH, le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie à l’encontre d’un délinquant adulte n’est pas en soi prohibé par l’article 3 ou une autre disposition de la Convention et ne se heurte pas à celle-ci (Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, § 72, CEDH 2008), à condition qu’elle ne soit pas nettement disproportionnée (Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09,130/10 et 3896/10, §§ 119-122, CEDH 2013) La Cour a néanmoins estimé qu’infliger à un adulte une peine perpétuelle incompressible pouvait soulever une question sous l’angle de l’article 3 . Le simple fait qu’une peine perpétuelle puisse en pratique être purgée dans son intégralité ne la rend pas incompressible
La CEDH estime que la dignité humaine, qui se trouve au cœur même du système mis en place par la Convention, empêche de priver une personne de sa liberté par la contrainte sans œuvrer en même temps à sa réinsertion et sans lui fournir une chance de recouvrer un jour cette liberté (voir James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, nos 25119/09, 57715/09 et 57877/09, § 209, 18 septembre 2012, et Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, §§ 121 et 144-145, CEDH 2015)
L’affaire concernait la requête d’un homme qui fut jugé coupable de meurtre en 1980 et qui purgea sa peine d’emprisonnement à perpétuité sur les îles de Curaçao et d’Aruba (appartenant au Royaume des Pays-Bas) jusqu’en 2014, année où lui fut accordée une grâce pour raisons de santé.
Le requérant, M. Murray, plaidait devant la Cour qu’il avait été privé de toute perspective réaliste d’élargissement, notamment parce qu’il ne s’était pas vu proposer un régime spécial de détention pour les détenus présentant des problèmes psychiatriques.
Il expliquait que, faute pour lui d’avoir jamais bénéficié du moindre traitement psychiatrique, le risque d’une récidive de sa part continuerait d’être considéré comme trop élevé pour qu’il pût être libéré. Il soutenait ainsi que, nonobstant le mécanisme de réexamen des peines perpétuelles introduit à Curaçao peu après qu’il eut déposé sa requête devant la Cour, il n’avait, de facto, aucune perspective de libération.
M. Murray décéda alors que la procédure était en cours devant la Grande Chambre. Deux de ses proches poursuivirent l’instance devant la Cour.
La CEDH juge donc que la peine perpétuelle de M. Murray n’était pas de facto compressible.
Elle observe qu’alors qu’avant sa condamnation à la prison à vie il avait été identifié comme une personne nécessitant un traitement, il ne bénéficia jamais, au cours de sa détention, d’un traitement pour l’état de sa santé mentale.
Les avis émis par les juridictions internes qui s’opposèrent à sa libération montrent qu’il existait un lien étroit entre la persistance du risque de récidive qu’il présentait et l’absence de traitement.
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les États disposent d’une ample marge d’appréciation dans la détermination des mesures propres à donner à un détenu à vie la possibilité de s’amender.
Toutefois, bien qu’une évaluation eût révélé dès avant la condamnation de M. Murray à une peine perpétuelle que celui-ci avait besoin d’être soigné, des évaluations complémentaires ne furent jamais menées sur les types de traitements qui pouvaient être requis et disponibles.
Par conséquent, au moment de l’introduction par lui de sa requête devant la Cour, aucun de ses recours en grâce n’était en pratique apte à mener à son élargissement.
Ainsi, contrairement aux exigences de l’article 3, sa peine perpétuelle n’était pas de facto compressible. Cette conclusion suffit à la Cour pour dire, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3.
La CEDH n’accorde cependant aucune somme pour dommage moral, mais condamne les Pays-Bas à verser au fils et à la sœur de M. Murray 27 500 euros pour frais et dépens
En d'autres termes, un peine à perpétuité ne doit pas être "incompressible" et il doit subsister un espoir de sortie, une lueur d'espoir pouvant notamment résulter d'une possibilité de réexamen. A défaut, il s'agit d'un traitement dégradant.
Retrouvez la décision Murray du 26 avril 2016 en fichier Pdf: