Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
Article mis à jour le 21 août 2017
Des téléphones mobiles en prison…Le débat vient d'être relancé avec la révélation de l'utilisation intensive d'un appareil portable par un détenu radicalisé à l'isolement à Fresnes, mais aussi par de nouvelles prises de position officielle.
Dans le "Guide du détenu arrivant", tout prisonnier est prévenu que la détention et l'usage d'un téléphone personnel sont interdits (voir Circulaire du 20 février 2012 relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues par les visites et l’envoi ou la réception d’objets voir http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/02/cir_34725.pdf)
Mais rien qu’au mois de janvier 2016, 2.500 appareils ont été saisis derrière les murs des prisons françaises…(33.000 en 2016)
Ils arrivent souvent avec la technique dite du ‘’Big Mac’’: deux éponges de chaque côté pour protéger le téléphone au milieu. Bien scotché, le colis est étiqueté avec le nom du détenu afin qu’il arrive à destination
Aujourd'hui, beaucoup, et même certains surveillants, se demandent si, malgré le risque évident qu'ils soient utilisés pour s'adonner à des trafics, la meilleure solution ne serait pourtant pas de les autoriser, tout en encadrant leur utilisation avec les moyens techniques adaptés.
C'est ce que préconise notamment Adeline Hazan, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui estime que les téléphones portables devraient pouvoir être utilisés en détention, sous réserve de limiter leur usage à quelques numéros seulement.
Pour le Contrôleur, il faut «faire en sorte que les détenus ne coupent pas les ponts avec leur environnement de façon à préparer dans de meilleures conditions leur sortie et de donc de prévenir les risques de récidive"
Dès le rapport 2013, la conclusion était claire: l'arrivée du "portable en prison est inéluctable" ! (lire notre article: "Présentation du rapport 2013 du Contrôleur des lieux de ...)
L'idée de les autoriser aux personnes placées dans les centres de semi-liberté et de peines aménagées ou les quartiers de semi-liberté et de peines aménagées des maisons d'arrêt.par décret a été abandonnée en 2014, ayant suscité un tollé chez les gardiens de prison, de sorte que le projet de décret a été retiré.
Bien entendu, les détenus ne sont pas totalement privés de tout droit de téléphoner durant leur détention. Il existe des cabines de téléphonie fixe, avec l’utilisation limitative de numéros contrôlés, la conversation pouvant être écoutée par l’Administration pénitentiaire.
Cependant, la localisation des cabines téléphoniques ne permet souvent pas une confidentialité satisfaisante vis à vis des autres détenus et du personnel pénitentiaire. Le respect du droit à la vie privée, de même que de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client sont rendus ineffectifs par le positionnement des cabines, dans les cours de promenade ou dans les coursives de l’établissement, libres d’accès à de nombreuses oreilles indiscrètes.
Se fondant sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le respect de la vie privée et familiale et des correspondances, le Conseil d’Etat a d’ailleurs confirmé, dans un arrêt du 23 juillet 2014 une ordonnance de référé du Tribunal administratif de Rennes du 23 avril 2014 qui avait enjoint à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures pour garantir la confidentialité des appels téléphoniques passés par les détenus du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin avec leur avocat quelles qu’en soient les circonstances ou avec leur famille.
Reste le brouillage pour empêcher l'utilisation des portables.
Actuellement plus de 600 brouilleurs sont installés en France, mais le modèle actuel se révèle peu efficace, Mais en augmentant la puissance de ces brouilleurs, les appareils de surveillance et de télécommunication des surveillants sont impactés et les communications des riverains, habitant à proximité des prisons, sont également touchées.
Le Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas a récemment rappelé être hostile au déploiement des portables dans les 192 établissements pénitentiaires, même si cela peut aider à la réinsertion. Une expérimentation avec des postes fixes doit être prochainement lancée à la prison de Metz.
Pour la plupart des détenus, le téléphone portable représente avant tout une aide morale, un soutien, et un moyen d'être tout de même présent auprès des siens: le débat des mobiles en milieu carcéral doit donc rebondir.
Mise à jour du 21 août 2017
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a plaidé le 17 août 2017 pour que les détenus puissent acheter des téléphones ne servant à appeler qu'un nombre restreint de numéro. Le syndicat majoritaire de l'administration pénitentiaire s'y oppose. L'Ufap-Unsa justice se dit en effet contre cette mesure considérant qu'avec un téléphone portable, une évasion peut-être orchestrée et le système carcéral fragilisé.
En visite au centre pénitentiaire de La Farlede, près de Toulon, la ministre de la Justice Nicole Belloubet, et c'est une nouveauté, ne s'est pas opposée à l'idée d'autoriser les téléphones portables bridés en prison.