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Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837

Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II: décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 20 janvier 2017 par le Conseil d’État (ordonnance n° 406614 du 16 janvier 2017) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Sofiyan I., portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d’une part, des onzième à quatorzième alinéas de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et, d’autre part, du paragraphe II de l’article 2 de la même loi du 19 décembre 2016.

M. Sofiyan I. a en effet fait l’objet de sept arrêtés successifs du ministre de l’intérieur ordonnant puis renouvelant une mesure d’assignation à résidence, assortie d’obligations de pointage et d’une astreinte à demeurer dans son domicile de 21 heures 30 à 7 heures 30. Le dernier arrêté dont il a été l’objet, en date du 20 décembre 2016, l’a assigné à résidence pour une durée de quatre-vingt-dix jours sur le fondement du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 19 décembre 2016, à compter du 22 décembre 2016.

Pour contester cette décision, l’intéressé a formé un référé-liberté devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse qui, par une ordonnance du 3 janvier 2017, a rejeté sa demande

Devant le juge des référés du Conseil d’État, saisi en appel, l’intéressé a soulevé une QPC à l’encontre des dispositions de l’article 2 de la loi du 19 décembre 2016.

Dans sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, le Conseil constitutionnel a censuré partiellement les treizième et quatorzième alinéas de l’article 6 précitée et a, sous plusieurs réserves d’interprétation, déclaré les autres dispositions contestées conformes à la Constitution.

Les conditions dans lesquelles une mesure d’assignation à résidence peut être prononcée dans le cadre de l’état d’urgence sont définies à l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence le 14 novembre 2015, ces dispositions ont été modifiées par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, la loi du 19 décembre 2016 mentionnée ci-dessus et la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

Les conditions dans lesquelles une mesure d’assignation à résidence peut être prononcée ont été examinées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 . Celui-ci a alors déclaré conformes à la Constitution les neuf premiers alinéas de cet article 6 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015

En application du premier de ces alinéas, le ministre de l’intérieur peut « prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret » déclarant l’état d’urgence. Une telle décision est soumise à la condition qu’ « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » .

Cette assignation à résidence peut se doubler d’une « assignation à domicile » puisque le second alinéa de l’article 6 dispose : « La personne (…) peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures »

Dans la rédaction de l’article 6 résultant de la loi du 20 novembre 2015, le législateur avait prévu trois garanties entourant les assignations à résidence : « L’assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l’objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d’une agglomération. En aucun cas, l’assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes mentionnées au premier alinéa. / L’autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille »

Le juge des référés du Conseil d’État avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel au motif que « les dispositions de l’article 2 de la loi du 19 décembre 2016, en tant qu’elles permettent le renouvellement de l’assignation à résidence d’une personne déjà soumise à ce régime juridique depuis plus de douze mois, portent une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’aller et venir et qu’elles méconnaissent l’article 66 de la Constitution ; que la question ainsi soulevée présente, notamment en ce qui concerne la liberté d’aller et venir, un caractère sérieux »

Le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision du 16 mars 2017 qu’ « au-delà de douze mois, une mesure d’assignation à résidence ne saurait, sans porter une atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir, être renouvelée que sous réserve, d’une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics, d’autre part, que l’autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l’examen de la situation de l’intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie » (paragr. 17).

Le Conseil constitutionnel a donc encadré par une triple réserve les conditions de prolongation d’une mesure d’assignation à résidence.

Il a estimé que l’atteinte à la liberté d’aller et de venir résultant d’une telle mesure ne pouvait être prolongée, au-delà du délai de principe fixé à douze mois par le législateur, que dans des conditions plus strictes que celles applicables au placement sous assignation à résidence. Dans la mesure où, d’une part, l’état d’urgence est un état exceptionnel et où, d’autre part, les personnes assignées n’ont, par principe, pas commis durant leur placement des agissements de nature à justifier l’ouverture d’une procédure pénale, des conditions plus strictes doivent être réunies pour une prolongation au-delà de douze mois, à défaut de quoi la conciliation entre la liberté d’aller et de venir et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public deviendrait manifestement déséquilibrée. Au demeurant, il est difficile de justifier le principe même d’une durée maximum fixée par la loi si aucune exigence supplémentaire de fond ne s’impose lorsqu’il s’agit de déroger à cette durée.

Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel exige que :

– le comportement de la personne en cause constitue une menace d’une « particulière gravité » pour la sécurité et l’ordre publics, alors que l’assignation initiale et son renouvellement pour une période totale inférieure à douze mois ne sont subordonnés qu’à une condition de gravité simple;

– la décision de prolongation soit justifiée par des « éléments nouveaux ou complémentaires » produits par l’administration. Cette condition, qui aura pour effet de renforcer l’intensité du contrôle du juge sur la décision, est voisine de celle qui figurait dans l’avis du Conseil d’État du 8 décembre 2016 précité ;

– la décision relative à la prolongation prenne en compte à la fois la durée totale de l’assignation à résidence (plus cette durée est longue, plus les raisons de la prolongation doivent être rigoureusement appréciées), les conditions de cette assignation (notamment le lieu et la plage horaire de l’astreinte à demeurer dans un lieu d’habitation déterminé) et les obligations complémentaires dont la mesure est assortie (par exemple le fait de devoir se présenter, à une certaine fréquence et à certains horaires, aux services de police et de gendarmerie).

Sous cette triple réserve, le Conseil constitutionnel a donc déclaré les dispositions contestées, autres que celles déclarées inconstitutionnelles au paragraphe 12, conformes à la Constitution (paragr. 19).

Retrouvez la  Décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017

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