Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
Le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée.
C'est par un arrêt de la Chambre sociale du.21 sept. 2017, n° 16-20270 que la Cour de cassation relance le débat sur la liberté fondamentale que constituerait le droit à l'emploi, en lui déniant cette qualité, et en précisant donc qu'une cour d'appel ne pouvait pas ordonner la poursuite de la relation de travail, après avoir ordonné la requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée, alors qu'elle a constaté qu’à la suite de l’infirmation, par un arrêt, de l’ordonnance de référé ayant ordonné la poursuite du contrat dans l'attente de la décision au fond sur la requalification, la relation de travail avait pris fin à une certaine date, correspondant au terme de la dernière mission.
Dans cette affaire, un travailleur intérimaire avait été mis à disposition de la société SCC du 10 juillet 2012 au 31 décembre 2013, par la société Adecco, en qualité de technicien de proximité informatique, dans le cadre d’une succession de missions temporaires et de renouvellement conclus pour accroissement temporaire d’activité. Avant l’expiration de sa dernière mission, le salarié avait saisi la formation de référé de la juridiction prud’homale pour, notamment, faire valoir les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée et obtenir la poursuite de la relation contractuelle. Par ordonnance du 27 décembre 2013, la formation de référé de la juridiction prud’homale a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes relatives à la requalification en contrat à durée indéterminée, mais a ordonné la poursuite de la relation contractuelle jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes. Par jugements des 15 mai et 7 juillet 2014, le conseil de prud’hommes a ordonné la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, condamné l’employeur au paiement de diverses sommes et ordonné la poursuite du contrat de travail à durée indéterminée. Par arrêt du 5 septembre 2014, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance de référé du 27 décembre 2013 en ce qu’elle avait ordonné la poursuite du contrat de travail. Par arrêt du 11 mai 2016, la cour d’appel a notamment ordonné la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée et ordonné la poursuite de la relation de travail.
Pour ordonner la poursuite de la relation de travail, après avoir ordonné la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, l’arrêt retient que le contrat de travail requalifié du salarié qui a agi en justice avant le terme de son dernier contrat de mission à l’effet de faire respecter sa liberté fondamentale au maintien du salarié dans l’emploi suite à la violation des dispositions relatives aux conditions restrictives de recours au travail temporaire, n’a pas été rompu et est toujours en cours depuis le 10 juillet 2012, peu important en la matière la circonstance que l’ordonnance de référé du 27 décembre 2013 ait été entre-temps infirmée par l’arrêt du 5 septembre 2014 survenu cependant postérieurement au jugement déféré et qu’aucune disposition du code du travail ne sanctionne expressément la requalification par la poursuite des relations contractuelles entre l’intérimaire et la société utilisatrice.
Ce que n'approuve pas la Cour de cassation, puisque dans son arrêt du 21 septembre 2017 elle nous indique "que le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée" ;
Le droit à l’emploi est pourtant visé par le 5ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958). Ce texte pose le principe fondamental selon lequel "Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi".
Le droit à l'emploi est également évoqué par l'article 43 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948.
Mais pas au point de constituer une liberté fondamentale pour la Cour de cassation ...
Cette dernière estime que dans la mesure où le droit à l’emploi, qui résulte de l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 n’est pas une liberté fondamentale, mais un droit-créance qui doit être concilié avec d’autres droits ou principes constitutionnels, tels que la liberté d’entreprendre qui fonde, pour l’employeur, le droit de recruter librement ou de licencier un salarié. La définition de cet équilibre entre deux droits de nature constitutionnelle relève du législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. En revanche, un justiciable ne peut pas se prévaloir directement dans le cadre d’un litige d’une violation du droit à l’emploi, sauf à vider de leur substance les autres droits constitutionnels avec lesquels ce droit doit être concilié.
(Crédits dessin: Cabinet Thierry Vallat)