Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
C'est une nouvelle version particulièrement sordide du cyber-harcèlement qui sévit désormais en France: cela s'appelle du "baiting".
Elle s'opère via le réseau social Snapchat ou d'autres messageries instantanées en diffusant des photos privées ou des montages à caractère sexuel. Cyber-harcèlement: un compte Snapchat sème le trouble
La jeune fille sur la photographie ne doit pas avoir plus de 13 ans. Elle sourit à la caméra, mais sur l'image postée sur Snapchat un commentaire pour expliquer qu'elle est de moeurs légères et s'adonne à un multipartenariat sexuel.
Bien entendu, rien de ce que raconte le post n'est vrai, mais les dégâts peuvent être considérables, puisque l'image est multidiffusée et partagée dans tout son collège !
D'autres photos plus explicites montrent des adolescents en sous-vêtements, avec leur véritable nom et des liens avec leur compte sur les réseaux sociaux
Il s'agit de la version française du baiting qui commence à sévir dans l'hexagone.
Le baiting ou "bait-out" vient d 'Angleterre et constitue une nouvelle forme de cyber-harcèlement dévastatrice, combinant revenge porn et creepshots, ou des photos récupérées sur Twitter ou Instagram ou de vulgaires montages, bien entendu sans l'accord ou le consentement des personnes intéressées qui sont ensuite humiliées sexuellement avec des commentaires dégradants.
L'intention est flagrante: c'est bien de harcèlement dont il s'agit puisque les véritables identités sont révélées et que le "name and shame" est encouragé !
C'est ainsi qu'un compte suggère qu'on envoie des commentaires sur fond de "Vous voulez vous venger de votre ex ? " et d'encourager à tagger les photos volées et de les poster sur les réseaux sociaux.
Des comptes Twitter très localisés, et donc encore plus facile pour identifier les malheureuses prises au piège, comme “Essex Bait Slags” ou “Baitout Bath” sont apparus et sur Instagram on trouve des comptes comme “Baitout Holyhead” et “Baitout Birmingham”.
En France; c'est surtout Snapchat qui serait le vecteur de cette forme de harcèlement.
Même sur YouTube, de jeunes présentateurs publient des vidéos sur lesquelles apparaissent les rues où elles résident, et demandant de dénoncer celles soupçonnées de dépravation.
Ces vidéos filmées à l'origine à Londres ou Birmingham totalisent des centaines de milliers de vues sur internet.
Et bien souvent les victimes n'osent pas parler de ces traitements humiliants.
Le baiting ne serait finalement que la version pour millennial du harcèlement du 20e siècle avec de sales rumeurs propagées dans la cour de récréation.
Avec la différence que ce cyber-harcèlement ne se cantonne pas à l'école ou au collège, mais fonctionne 24h/24 et peut devenir viral très rapidement avec du contenu infâmant pouvant rester longtemps en ligne.
L'impact de ce fléau a notamment été évoqué dans la série de Netflix "13 Reasons Why", qui raconte le calvaire de la jeune Hannah, qui s'est suicidée après avoir été harcelée de la sorte.
Twitter a réagi et confirme ne pas tolérer l'exploitation sexuelle des enfants et avoir fermé les comptes signalés. Instagram en a fait de même avec une tolérance 0 concernant le harcèlement.
Il est très important que les victimes réalisent que ce qui leur arrive n'est pas de leur faute, mais que ce sont les harceleurs qui sont coupables et commentent un délit.
Rappelons en effet sur un plan plus juridique qu'Il n'existait pas en France d'outil juridique spécifique, comme en matière de harcèlement au travail ou dans le couple. La loi du 17 juin 1998 sur le bizutage ne correspondait pas exactement au harcèlement scolaire et c'étaient donc plutôt les violences morales incriminées par l'article 222-33-2 du Code pénal qui trouvent à s'appliquer.
La création d'un délit particulier est intervenue en août 2014 avec la création de l’article 222-33-2-2 du Code pénal qui dispose que:
"Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :
1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
2° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;
3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4°"
Un numéro vert 3020 "Non au harcèlement", ouvert du lundi ou vendredi de 9h à 18h (sauf les jours fériés), est animé par un réseau de 250 "référents harcèlement" qui est chargé de la prise en charge de situations de harcèlement dont ils ont eu connaissance. Ils aident et conseillent également les écoles et les établissements pour la résolution des situations de harcèlement.
Le n° 08 200 000 net écoute est également à disposition des cyberharcelés.
Sur internet, le site www.nonauharcelement.education.gouv.fr oriente et donne des conseils selon le profil de l’utilisateur (victime, témoin, parent ou professionnel). Un ensemble de ressources pédagogiques est mis à la disposition des professionnels et des parents (guides, cahiers d’activités pour le primaire et grille de repérages du harcèlement).
La page Facebook, qui compte plus de 72 000 abonnés, est fréquentée majoritairement par des jeunes de 13 à 17 ans, mais ce sont essentiellement des femmes de 25 à 44 ans, le plus souvent des parents d’élèves qui y interagissent. De nombreux partenaires institutionnels concernés par la lutte contre le harcèlement suivent également cette page tout comme certaines fédérations de parents du public et du privé.
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Retrouvez notre intervention sur le cyber harcèlement dans l'émission ''seul contre tous'' de Sud Radio du 4 juin 2015 (podcast à partir de 23'40):http://www.sudradio.fr/Podcasts/Seul-contre-tous/Gossip-il-faut-interdire-le-portable-avant-la-fin-du-lycee et sur Europe 1 le 2 juin 2015:http://www.europe1.fr/societe/gossip-lapplication-dans-le-viseur-des-associations-1350076#utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter