Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
La Cyber Unit, la nouvelle division numérique de la ''Securities and Exchange Commission'' (SEC) dédiée aux “initial coin offerings” , vient d'annoncer sa première affaire et plainte pour fraude aux ICO, accusant un couple de Québécois d’avoir spolié des milliers d’investisseurs à hauteur de 15 millions de dollars en leur vendant frauduleusement une monnaie virtuelle, le PlexCoin.
Rappelons que depuis un peu plus d’un an, une nouvelle forme de levées de fonds a vu le jour sous la forme d’initial coin offerings (ICO). Ces émissions, qui s’appuient à la fois sur l’usage des crypto-monnaies et de la technologie Blockchain, visent à financer des projets technologiques spécifiques portés par une entreprise ou une communauté de développeurs.
Lors d’une opération ICO, les participants reçoivent, en échange de leur investissement en crypto-monnaie ou monnaie ayant cours légal, des jetons (communément désignés « tokens ») émis par le ou les porteurs du projet. Selon les opérations observées, ces jetons ne confèrent pas systématiquement les mêmes droits (droits d’usage des services développés, droits financiers et/ou de gouvernance sur le projet, etc.) à leurs souscripteurs
Le gendarme de la Bourse aux États-Unis a donc annoncé avoir engagé des poursuites contre Dominic Lacroix, 35 ans, et sa conjointe, Sabrina Paradis-Royer, 26 ans. Les éléments à charge contre le couple figurent dans une plainte engagée le 4 décembre dernier devant le tribunal fédéral de district, à Brooklyn, dans l’État de New York, au titre de ces jetons numériques offerts en contrepartie de la levée de fonds de PlexCorps, en faisant miroiter aux investisseurs qu’ils pourraient réaliser un profit de… 1 354 % en 29 jours !
Cette cryptomonnaie, baptisée PlexCoin, était supposée constituer une nouvelle monnaie virtuelle sophistiquée ''dans le but d’échapper aux obligations d’enregistrement des lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières''
Dans un communiqué publié le 4 décembre 2017, l’organisme américain de réglementation indique que PlexCorps a levé jusqu’à 15 millions de dollars auprès de plusieurs milliers de particuliers depuis août 2017 « en promettant mensongèrement un retour sur investissement de 1 à 13 en moins d’un mois » à des investisseurs aux États-Unis et ailleurs dans le monde par le biais de cet ICO (Initial coin offering)
La SEC réclame donc entre autres le remboursement des sommes volées, en plus de dommages et intérêts ainsi que des pénalités financières. Elle demande aussi que des interdictions soient prononcées pour empêcher les deux Québécois de procéder à de nouvelles offres du même type. Selon l’autorité de régulation US, l’argent ainsi recueilli n’était pas destiné à faire du développement d’affaires, mais plutôt à financer les dépenses du couple incluant des projets de décoration de maison.
La SEC ajoute qu’elle a obtenu une ordonnance d’urgence du tribunal pour obtenir les gels des éléments d’actifs du couple et de leur compagnie.
Dans son communiqué, la SEC souligne par ailleurs que Dominic Lacroix comme un « récidiviste », en rappelant ses démêlés avec la justice québécoise. Celui-ci a en effet été déclaré coupable notamment d’outrage au tribunal en octobre 2017 par la Cour supérieure du Québec après qu’il eut contesté une ordonnance du Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) lui enjoignant de fermer les sites qui proposaient le PlexCoin.
Selon l’Autorité, entre sept et huit millions de dollars investis dans le PlexCoin n’ont toujours pas été retrouvés
Cette procédure est la première engagée par la Cyber Unit, l’unité spéciale de la SEC créée en septembre 2017, qui a pour mission de lutter contre les fraudes en ligne.
Le succès des ICO, qui échappent à toute régulation, inquiète plusieurs autorités de surveillance du secteur financier dans le monde, dont l'AMF française (lire notre article Initial Coin Offering et statut juridique: l'AMF consulte sur les ICO)
En effet, pour lever des fonds, pas besoin de banque-conseil ou de feu vert des autorités, il suffit de présenter son projet sur son site internet, avec un livre blanc, en précisant le prix du jeton que l’on s’apprête à émettre et les droits qu’il ouvre,
Si ce genre d’opérations demeurait jusqu’ici cantonnées à un public confidentiel et spécialisé, ce n’est plus aujourd’hui le cas en raison de la fascination croissante pour les cryptomonnaies au sein du grand public.
Cette affaire survient dans un contexte où les cryptomonnaies connaissent un succès grandissant et ce, malgré les multiples mises en garde dont elles ont fait l’objet de la part des autorités de régulation.
Souscrire à ces opérations nécessite de bien comprendre la nature de ces projets, la technologie sous-jacente ainsi que les risques associés. Ce type de levées de fonds est par nature destiné à un public technophile et averti. Les jetons (tokens) émis à l’occasion de ces opérations présentant des caractéristiques différentes propres à chaque opération, il est indispensable de s’informer sur la nature du jeton émis, ce qu’il représente pour l’entreprise qui l’émet et les risques et bénéfices associés.
La France réfléchit donc à une très prochaine régulation de ces opérations et à une définition des tokens.
Aux USA, la SEC a émis un landmark ruling en juillet 2017 établissant que ces jetons étaient en réalité des valeurs mobilières (''securities''), et donc sujet à sa règlementation et aux incriminations subséquentes.
C'est ainsi qu'en novembre 2017, la SEC avait engagé des poursuites contre Maksim Zaslavskiy un individu ayant lancé deux ICOs l'un en matière immobilière RECoin et l'autre sur des investissements en diamants DRC – ne reposant sur aucune réalité https://www.justice.gov/usao-edny/pr/brooklyn-businessman-charged-fraud-connection-two-initial-coin-offerings
En dépit de ces arnaques déjà débusquées, la SEC n'entend cependant pas interdire les ICO, mais seulement les réglementer, afin de préserver les aspects positifs de la technologie Blockchain, contraitement à des pays comme la Chinre ou la Corée du Sud qui ont pris des mesures beaucoup plus draconniennes.
(crédits dessin: Cabinet Thierry Vallat)