Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
La ministre de l’Enseignement supérieur vient de mettre en place la charte «Événements festifs et d’intégration étudiants», afin de limiter les dérapages qui surviennent encore trop souvent lors de ces événements: bizutage, surconsommation d’alcool, harcèlement sexuel, violences…
Pour renforcer la vigilance et la lutte contre ces dérives, Frédérique Vidal a donc réuni mercredi 10 octobre, les organisations étudiantes, les instances représentatives des établissements et de recteurs et le Cnous. Ensemble, ils ont co-signé cette charte « Événements festifs et d’intégration étudiants » et lancé le hashtag #StopDangerWEI
Un an après la mort, le 1er octobre 2017, de David Marret, étudiant en deuxième année à la faculté d’odontologie de Rennes, la Charte rappelle la responsabilité de chacun: associations étudiantes organisatrices, établissements.
Chaque conseil d’établissement sera en charge d’adopter cette charte dans une déclinaison qui lui sera propre. La responsabilité du chef d’établissement peut en effet être engagée que l’événement se déroule ou non en ses murs.
L'occasion de faire le point sur ce fléau du bizutage qui continue à faire des victimes, sous couvert d'intégration virant à la "soirée no limit".
En dehors des cas de violences, de menaces ou d’atteintes sexuelles, plus sévèrement réprimés, le bizutage (toute personne qui amène autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants ou à consommer de l’alcool de manière excessive) est déjà puni depuis 1998.
La clarification du cadre législatif prohibant le bizutage depuis 1998, ainsi que les actions des établissements et du ministère chargé de l’enseignement supérieur pour prévenir les dérives ont permis de faire reculer le bizutage dans la plupart des établissements d’enseignement supérieur.
La loi n° 98‑468 du 18 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a créé le délit de bizutage, aujourd’hui codifié à l’article 225‑16‑1 du code pénal.
Les auteurs de ce délit, y compris les personnes morales, s’exposent à une peine de 6 mois d’emprisonnement et à une amende de 7 500 €, et ceci même si la victime était consentante. Ces peines sont doublées si la victime est une personne vulnérable, aux termes de l'article 225-16-2.
L’évolution des pratiques, d’un bizutage revendiqué au sein de l’institution vers une « intégration » le plus souvent organisée dans un cadre associatif ou privé en dehors des établissements, pose des difficultés nouvelles. Des dérives continuent ainsi d’exister, lors de «week-end d’intégration» ou sous couvert d’événements festifs où peuvent se mêler l’alcoolisation excessive et les pratiques forcées sous la pression du groupe pour maintenir la tradition.
Les weekends d’intégration et autres fêtes propices à ces comportements déviants devraient pourtant connaitre une forte accalmie, si les auteurs n'étaient plus protégés par le poids des traditions et que les victimes bénéficient une force de dénonciation supérieure.
Des pressions à l’endroit des victimes ou des étudiants faisant état de pratiques de bizutage persistent donc dans certaines filières ou établissements. Les témoins ou les victimes peuvent également s’exposer dans certains cas à des discriminations dans leur parcours de formation ou lors de leur insertion professionnelle. Les associations de lutte contre le bizutage font enfin état de difficultés persistantes pour briser la loi du silence.
La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté est intervenue à cet égard pour de compléter le code pénal par un nouvel article 225-1-2 qui dispose que: "Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce qu'elles ont subi ou refusé de subir des faits de bizutage définis à l'article 225-16-1 ou témoigné de tels faits ".
Cette disposition a créé une infraction destinée à réprimer la discrimination dont pourrait être victime une personne à raison des faits de bizutage qui lui ont été infligés et qu’elle a dénoncés ou dont elle a été témoin. Il s’inspire du dispositif prévu par la loi du 4 août 2014, codifié à l’article 225-1 du code pénal, relatif à la discrimination subie par des victimes ou des témoins de faits de harcèlement sexuel et qui punit notamment « la distinction opérée entre les personnes parce qu’elles ont témoigné de faits de harcèlement sexuel ». La création de cette infraction vise donc à sécuriser des étudiants victimes ou témoins d’actes de bizutage, notamment contre un refus de droits par les autorités des établissements publics d’enseignement supérieur à raison des plaintes ou dénonciations qu’ils ont effectuées, ou lors de leur insertion professionnelle. Dans certains cas, il pourrait également permettre d’encourager les témoignages sur le bizutage et d’en faciliter la preuve
Dans les faits, cette infraction est punie jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende. Le but de cette initiative est de "sécuriser des étudiants victimes ou témoins d’actes de bizutage", avec l’idée principale de les protéger "contre un refus de droits par les autorités des établissements publics d’enseignement supérieur à raison des plaintes ou dénonciations qu’ils ont effectuées, ou lors de leur insertion professionnelle".
Par ailleurs, une association de défense des victimes de bizutage peut désormais se porter partie civile, sous réserve d’avoir obtenu l’aval de la victime ou de son représentant légal si elle est mineure, afin de faciliter les poursuites et la répression de ce délit.
Espérons que cette charte puisse contribuer à faire reculer les dérives et pratiques répréhensibles des bizutages
Retrouvez également notre article Lutte contre le Bizutage: le point après la loi du 27 janvier 2017