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Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837

Une loi pour protéger les enfants youtubeurs ?

Article modifié le 7 octobre 2020

Le député Bruno Studer a déposé le 17 décembre 2019 à l'assemblée nationale une proposition de loi n° 2519 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

Les vidéos d'enfants mis en scène par leurs parents sur des chaînes YouTube rencontrent un succès grandissant et cette activité s'avère très lucrative pour certains (on parle de plus de 5.000 €/mois pour les réalisateurs de démonstrations de jouets avec leur propre progéniture)

Ces pratiques posent des questions bien entendu éthiques, mais aussi légales.

Le texte de la proposition de loi ne propose pas d’interdire cette pratique ni de la marginaliser, mais bien de proposer, au travers de cette proposition de loi, un cadre légal à ces enfants qui ne bénéficient actuellement d’aucune protection juridique.

Depuis plusieurs années en effet, des vidéos mettant en scène des enfants lors de différents moments de leur vie sont publiées sur les plateformes de partage de vidéos telles que YouTube. Les enfants sont ainsi amenés à être filmés dans le cadre d’activités de loisir, de défis et de tutoriels ou en train de tester, de déguster ou de déballer divers produits.

En France comme à l’étranger, ces vidéos sont l’objet d’une grande popularité, notamment auprès des plus jeunes. Véritable enjeu de société, ce phénomène nouveau constitue également un enjeu économique et financier conséquent, que ce soit pour les familles des enfants, qui en retirent parfois un revenu important, ou pour les marques, qui voient dans ces vidéos une nouvelle opportunité publicitaire.

Ce type de vidéos, réalisées par les parents et mettant en scène des mineurs, ne font aujourd’hui l’objet d’aucun encadrement légal. Le législateur se doit par conséquent de combler ce vide juridique afin de protéger au mieux ces enfants.

En effet, contrairement aux enfants du spectacle, les horaires et la durée de tournage de ces enfants ne sont pas encadrés par le droit du travail. Cette situation est d’autant plus préoccupante que certaines de ces chaînes peuvent publier jusqu’à plusieurs vidéos par semaine. Cette situation impose aux enfants d’y consacrer au total un temps important, notamment en raison des prises de vues susceptibles d’être refaites. De même, les enfants des chaînes participent parfois à des activités de promotion annexes, telles que des signatures d’autographes avec leurs fans, des spots publicitaires pour des annonceurs ou des shooting photos augmentant de facto le poids de leur engagement dans ces activités.

Les familles estiment le plus souvent que ces activités relèvent uniquement du loisir et du divertissement pour leurs enfants. Mais dès lors qu’une rémunération, un lien de subordination et une prestation de travail sont clairement établis, il apparaît pourtant que ces activités sortent du strict cadre du loisir et peuvent être analysées comme du travail déguisé. Il convient dès lors de s’assurer que ces activités soient qualifiées comme telles de sorte à ce que puissent être appliquées aux enfants les règles protectrices posées par le code du travail.

Notamment, il est nécessaire de protéger ces enfants du point de vue financier. Le partage de ces vidéos génère aujourd’hui des revenus importants pour certains vidéastes. En effet, ces vidéos sont généralement le support de publicités, qu’il s’agisse de coupures publicitaires, d’encarts publicitaires superposés à l’image ou de placements de produits. Certains vidéastes assurent également une vente de produits dérivés.

Pour autant, ces différents revenus ne font l’objet d’aucun encadrement autre que celui prévu par le droit social et fiscal général. La situation de ces enfants ne relevant pas du statut des enfants du spectacle, les revenus générés ne peuvent pas être consignés, jusqu’à la majorité de l’enfant, sur un compte de la Caisse des dépôts, et sont perçus directement par les titulaires des chaînes et donc, généralement, les parents. Il est donc nécessaire pour le législateur de s’assurer d’un statut protecteur pour ces enfants.

Enfin, la loi doit répondre aux conséquences d’une telle exposition médiatique sur le développement psychique de ces enfants. Au-delà de l’impact que peut engendrer la célébrité sur le développement psychologique de ces enfants, les risques d’un cyber-harcèlement, phénomène courant sur les plateformes de partage de vidéo, se trouvent naturellement accrus. Dès lors que ces enfants grandiront et devront assumer pleinement la diffusion de ces vidéos dans les années à venir, les droits à l’image et à l’oubli doivent leur être permis et reconnus. Un travail de pédagogie est nécessaire auprès des parents, comme des personnes visionnant ces vidéos.

L’article 1er encadre les situations dans lesquelles l’activité de l’enfant doit être regardée comme un travail, en leur appliquant le régime protecteur aujourd’hui prévu pour les enfants faisant du mannequinat. Ainsi, une autorisation individuelle ou un agrément préfectoral sera nécessaire pour autoriser le travail d’un mineur de moins de seize ans dans le cadre d’une production destinée aux plateformes de partage de vidéos.

L’article 2 prévoit le retrait immédiat par les plateformes des vidéos mises à disposition du public en méconnaissance de l’obligation d’autorisation individuelle ou d’agrément.

L’article 3 tend à donner un cadre à la diffusion de l’image d’un enfant sur les plateformes de partage de vidéos lorsque cette activité ne relève pas du droit du travail. Notamment, une déclaration devra être faite auprès de l’autorité administrative dès que la durée ou le nombre de vidéos dépasse un seuil fixé par décret en Conseil d’État ou que l’activité génère un revenu important. Dans ces cas de figure, un régime proche de celui prévu pour les enfants du spectacle pourra être appliqué. Ainsi, leurs horaires de travail seront encadrés et une partie de leur rémunération sera obligatoirement versée sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations, et ce jusqu’à la majorité de l’enfant.

L’article 4 vise à responsabiliser les plateformes de partage de vidéo. Elles devront en particulier permettre l’identification, par les utilisateurs, des vidéos faisant figurer des enfants de moins de seize ans et informer régulièrement ces derniers des lois applicables dans ce domaine et des risques associés à la diffusion de l’image d’un enfant de moins de seize ans. Surtout, elles auront l’obligation, lorsqu’elles tirent des revenus directs de contenus faisant figurer un mineur, de transmettre l’information à l’autorité administrative, à charge pour cette dernière d’identifier les situations possiblement problématiques et d’y répondre par les moyens juridiques existants.

L’article 5 tend à créer un véritable droit à l’oubli numérique pour les enfants dont l’image est diffusée sur ces plateformes, en assurant le retrait obligatoire des images concernées lorsque le mineur en fait la demande.

L’article 6 vise à sanctionner les opérateurs de plateforme qui ne respecteraient pas les obligations en matière de signalement, d’information et de retrait des contenus qui découlent des dispositions précédentes.

Une initiative intéressante, mais qu'il reste à adopter par le Parlement.

mise à jour du 7 octobre 2020

Après adoption de la proposition de loi en première lecture par l’Assemblée en février 2020,  le Sénat l’avait l'avait votée en juin avec quelques ajouts, conservés par les députés.

À l’unanimité, les députés ont adopté le 6 octobre 2020 le texte de la proposition de loi visant à encadrer l’exploitation de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

Maître Thierry Vallat a été interrogé par LCI pour faire le point sur ce phénomène Les enfants dans les chaînes YouTube : simple "loisir privé" posté sur le web ou travail illégal ?, ainsi que sur BFM Les enfants youtubeurs, stars contraintes de la plateforme?

Retrouvez la proposition de loi n°2519 http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion2519.asp

(crédits dessin: Cabinet Thierry Vallat)

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