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Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837

Accès internet en prison pour un avocat détenu: l'arrêt CEDH Demir du 9 février 2021

 

Par un arrêt  Ramazan Demir c/ Turquie (Requête no 68550/17) rendu le 9 février 2021, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que l’impossibilité pour un détenu de consulter des sites Internet juridiques tels que celui de la Cour européenne est injustifiée.

L’affaire concerne le rejet par les autorités pénitentiaires d’une demande d’accès à certains sites Internet introduite par M. Demir, pendant sa détention provisoire dans le centre pénitentiaire de Silivri en 2016.

M. Demir, qui est avocat, souhaitait accéder aux sites Internet de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour constitutionnelle et du Journal officiel en vue de préparer sa propre défense et de suivre les dossiers de ses clients, ce qui lui avait été refusé.

La CEDH observe que l’emprisonnement entraîne inévitablement un certain nombre de restrictions concernant les communications des prisonniers avec le monde extérieur, y compris pour ce qui concerne leur capacité à recevoir des informations.

Elle rappelle avoir déjà considéré à cet égard que l’article 10 de la Convention ne pouvait être interprété comme imposant une obligation générale de fournir aux détenus un accès à Internet ou à des sites Internet spécifiques ( Kalda c. Estonie no 17429/10, 19 janvier 2016).

Cela étant, dans l’affaire Kalda précitée, elle avait jugé que, étant donné que l’accès à certains sites Internet contenant des informations juridiques était déjà accordé à des détenus par le droit estonien, la restriction de leur accès à d’autres sites Internet qui contenaient également des informations juridiques constituait une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à recevoir des informations (Kalda § 45).

Elle avait également considéré dans l’affaire Jankovskis c. Lituanie (no 21575/08, § 55, 17 janvier 2017) que, puisque l’accès des détenus aux informations relatives à l’éducation était prévu en droit lituanien, la restriction de l’accès du requérant au site Internet auquel le ministère l’avait renvoyé en réponse à sa demande d’information constituait une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit de recevoir des informations .

La Cour estime dans sa décision du 9 février 2021 que, quels que soient les motifs spécifiques indiqués par M. Demir à l’appui de sa demande d’accès à Internet, il ne pouvait pas être exclu que cette demande relevait  incontestablement des buts de formation et de réinsertion justifiant l’accès à Internet des détenus selon la législation interne turque, étant donné, notamment, le métier d’avocat du requérant et la nature des trois sites Internet auquel celui-ci voulait accéder. Elle tient à noter à cet égard qu’un grand nombre de ses arrêts et décisions ainsi que de ceux de la Cour constitutionnelle ne sont disponibles qu’en ligne et nécessite une navigation et une recherche sur les sites Internet concernés.

Dès lors, puisque l’accès des détenus à certains sites Internet dans des buts de formation et de réinsertion était prévu en droit turc, la restriction de l’accès de M. Demir aux sites susvisés, qui ne contiennent que des informations juridiques de nature à servir le développement et la réhabilitation de l’intéressé dans le cadre de sa profession et de ses centres d’intérêt, constitue une ingérence dans l’exercice de son droit de recevoir des informations.

La CEDH précise plus généralement que le refus d'accès à Internet pour les détenus lui parait cependant parfaitement envisageable et que l'article 10 de la Convention ne peut être interprété comme obligeant des pays à accorder un accès.

Dès lors, certains pays comme la France peuvent continuer de prohiber toute possibilité de connection, alors que d'autres pays européens, comme l'Estonie par exemple autorisent un accès limité.

Seuls quelques établissements pénitentiaires en France ont ouvert des connections à titre expérimental.

Depuis de nombreuses années, le contrôleur général des lieux de privation de liberté recommande pourtant un assouplissement des règles d'accès des détenus à l'informatique.

Au Journal officiel du 6 février 2020, le Contrôleur général (GGLPL) a publié un avis relatif à l’accès à internet dans lieux de privation de liberté dans lequel il estime que "la société a fait du numérique un outil indispensable de l’accès au savoir et a imposé l’utilisation d’internet pour la réalisation de nombreuses démarches. Ce vecteur essentiel d’autonomisation et de communication ne peut être ignoré par ceux qui ont autorité sur le fonctionnement et l’organisation des lieux de privation de liberté. Dans le contexte de la dématérialisation de l’intégralité des services publics à l’horizon 2022 initiée par la France, l’accès à internet, la formation de la population enfermée à ses usages et son accompagnement dans son utilisation doivent être considérés comme prioritaires, afin de ne pas priver cette population de l’exercice effectif de ses droits." http://https://www.cglpl.fr/2020/avis-relatif-a-lacces-a-internet-dans-les-lieux-de-privation-de-liberte/

Retrouvez la décision Demir c/ Turquie du 9 février 2021 https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-207804%22]}

(Crédits dessin: Cabinet Thierry Vallat)

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