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Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837

Accusée d'espionnage, le robot artiste Ai-Da désactivée pendant sa détention; vers des droits des robots pendant les gardes à vue ?

Les robots aussi peuvent avoir des problèmes judiciaires.

C'est ainsi que le robot artiste humanoide Ai-Da s'est fait arrêter à son arrivée au Caire, alors qu'elle devait participer à une exposition à la Grande Pyramide de Gizeh pour présenter sa dernière oeuvre.

En raison de « problèmes de sécurité » et sur des accusations d'espionnage, Ai-Da et sa sculpture ont été retenues à la douane égyptienne pendant 10 jours avant d’être libérées le 20 octobre 2021, déclenchant un tourbillon diplomatique.

Selon son concepteur Aidan Meller, les gardes-frontières ont arrêté Ai-Da  parce qu’elle est dotée d'un modem et qu’elle avait des caméras dans les yeux, qu’elle utilise pour dessiner et peindre.

Ai-Da est en effet capable de sculpter grâce à une main spécialement conçue et à des algorithmes développés par des chercheurs d’Oxford et de l’Université de Leeds. L’algorithme convertit les images qu’Ai-Da capture avec ses yeux de caméra en coordonnées spatiales réelles, et ces données sont ensuite réutilisées sous la forme de ses dessins. Et, parce que ses créateurs lui ont permis d’analyser les couleurs et les techniques utilisées par les artistes humains, Ai-Da peut également peindre.

Ai-Da et sa sculpture avaient été envoyées de Londres par fret aérien au Caire avant l’exposition Forever Is Now, qui se déroule jusqu’au 7 novembre 2021 et est présentée par le cabinet de conseil Art D’Égypte en partenariat avec le ministère égyptien des Antiquités et du Tourisme et le ministère égyptien des Affaires étrangères. L’exposition présente des œuvres d’artistes égyptiens et internationaux de premier plan.

La sculpture de 2 x 2,5 mètres d’Ai-Da est un jeu sur l’énigme du sphinx – " Qui est sur quatre pieds le matin, deux pieds à midi et trois pieds le soir ?" – la réponse étant bien entendu "un humain".

Mais les conditions de détention du robot ont été pour certains considérées comme inhumaines !

En effet, la recharge électrique du robot n'a pas été autorisée et Ai-Da a ainsi été désactivée pendant sa détention, suscitant l'indignation des défenseurs des droits des robots qui relèvent que ce traitement est indigne.

Si on se souvient que le robot Sophia s'était vu octroyer la citoyenneté par l’Arabie Saoudite,  la question de la création de droits pour un robot est encore très embryonnaire.

Les tribunaux ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la création d’une œuvre, assistée par ordinateur et il a été jugé qu’une telle œuvre "peut être protégée par le droit d’auteur à condition qu’apparaisse l’originalité voulue par le concepteur". C’est donc la personne humaine derrière sa machine qui demeure titulaire des droits d’auteur, si l’œuvre a été créée avec l’assistance d’une intelligence artificielle.

Mais si, au contraire, l’IA est amenée à créer, elle-même, une œuvre originale, on ne peut aujourd’hui lui accorder des droits d’auteur car il faudrait faire ressortir de cette œuvre le critère d’originalité. Or, il apparaît pour le moins compliqué aujourd'hui de reconnaître à une IA qu’elle exprime sa personnalité dans une œuvre de l’esprit.

On comprend donc bien que nos régimes juridiques de droit d’auteur ne sont pas adaptés pour les créations réalisées par une intelligence artificielle.

Une autre  question  se pose au sujet de l’intelligence artificielle: celle de la détermination de la personne responsable en cas de litige.

Qui sera responsable si un robot agissant de manière autonome blesse une personne ou cause un dommage? Des voitures autonomes ont été à l’origine de plusieurs accidents mortels aux Etats-Unis récemment et cela conduit à s’interroger sur le régime juridique applicable. Or, il n’existe pas aujourd’hui de régime juridique propre à l’intelligence artificielle, et aucun fondement juridique n’y apporte de réponse spécifique.

D’où les débats sur la création d’une "personnalité robot" , préconisée de longue date par notre confrère Alain Bensoussan, puisque l'IA ne dispose pas de la personnalité juridique, ce qui interdit aujourd’hui toute possibilité d’indemnisation du dommage par le robot, qui ne dispose d’aucun patrimoine propre.

C’est pourquoi le Parlement européen avait demandé à la Commission, dans sa résolution du 16 février 2017, d’examiner "la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers".

Dans ses recommandations pour la création d’un droit civil des robots, le Parlement Européen avait proposé plusieurs solutions au titre de la responsabilité de l’intelligence artificielle et on retrouve:

- La mise en place d’une assurance obligatoire;

- La création d’un fonds de compensation afin d’indemniser les accidents provoqués par une intelligence artificielle (comme l’ONIAM pour les accidents médicaux);

- La création d’un numéro d’immatriculation pour faciliter l’identification des robots en leur attribuant un numéro propre;

- Et donc la consécration d’une personnalité juridique propre aux robots afin de créer des règles spéciales pour la mise en œuvre de leur responsabilité.

Ces propositions n'ont cependant pas été reprises dans le projet de cadre juridique concernant l'intelligence artificielle déposé le 21 avril 2021par la Commission européenne (voir notre article L'encadrement législatif européen de l'intelligence artificielle)

Au-delà du buzz, la question est donc bien de savoir si demain, les robots peuvent devenir des êtres juridiques à part entière avec des droits et des obligations, comme l’annonçait en 1942 l’écrivain américain Isaac Asimov auteur des lois de la robotique.

(crédits dessin: Cabinet Thierry Vallat)

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