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Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837

Déclaration de soupçon et de blanchiment d'argent: la fin du secret professionnel et de l'indépendance des avocats ?

 
Jeudi 02 DéCembre 2004

Le secret professionnel de l'avocat constitue sans doute l'un des attributs les plus précieux de notre profession. Mais pour combien de temps encore pourra-t-il résister aux coups de boutoir successifs des législateurs, français et communautaire? C'est la question que l'on peut légitimement poser au vu de récentes réformes intervenues en matière de déclaration de soupçon de blanchiment d'argent.
Retour sur la loi n°2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires et juridiques (JO n°36 du 12 février 2004, p. 2847) réalisant transposition de la directive 2001/97/CE du 4 décembre 2001; Voir aussi le projet de directive communautaire du 30 juin 2004 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux y compris le financement du terrorisme.


Le secret professionnel revêt une double nature: c'est un devoir qui s'impose au professionnel soumis à une obligation de confidentialité concernant une information qui ne doit pas être divulguée. C'est également une prérogative qui accorde au professionnel le privilège du silence à l'encontre de certaines autorités. Dans le premier cas, le secret poursuit la sauvegarde d'intérêts privés (en l'occurrence du client); dans le second, il s'érige en véritable principe d'ordre public indispensable au soutien d'une société démocratique et libérale. Pourtant, cette physionomie traditionnelle semble profondément remise en cause depuis la transposition, en droit français, de la directive communautaire 2001/97/CE du 4 décembre 2001.

Fragilisant déjà largement l'édifice séculaire garantissant aux clients de nos cabinets un espace de confidentialité et de liberté et donc une complète confiance dans leurs conseils, l'article 70 de la loi du 11 février 2004 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires a intégré dans le Code monétaire et financier des dispositions propres à lutter contre le blanchiment destinées aux avocats. Désormais, ceux-ci ont l'obligation d'identifier leurs clients et de déclarer leurs soupçons dès lors qu'ils prêteront leur concours à l'achat et à la vente de biens d'immeubles ou de fonds de commerce, à la gestion de titres ou autres actifs appartenant au client, à l'ouverture de comptes bancaires, d'épargne ou de titres, à l'organisation des apports nécessaires à la création de sociétés ou de fiducies de droit étranger. Cette déclaration de soupçon devra être réalisée auprès du Bâtonnier de l'Ordre qui pourra, le cas échéant, la transmettre à TRACFIN. Certes, l'activité de défense reste - heureusement!- exclue du champ de la «dénonciation ».

Mais, pis encore, moins d'une année ne s'est-elle écoulée depuis la transposition que la proposition finale de 3ème directive «anti-blanchiment », adoptée le 30 juin dernier par la Commission européenne, renforce drastiquement les obligations mises à la charge des avocats. En effet, ceux-ci, ainsi que leurs employés (!), se verront notamment astreints à une stricte obligation de vigilance, indépendamment d'une quelconque suspicion de blanchiment, les Bâtonniers devant contrôler les cabinets, avec un droit d'inspection a priori et sur pièces, aux fins de savoir s'ils respectent les procédures, le tout assorti de sanctions pouvant aller jusqu'à la liquidation judiciaire… Plus grave encore, les avocats ne devront plus informer leurs clients de la déclaration de soupçon les concernant: la délation atteint un insupportable paroxysme.

Sans revenir sur les déclarations outrancières et largement dénoncées d'un ancien juge d'instruction parisien selon lesquelles 15 % de la criminalité par le blanchiment d'argent serait imputable aux avocats, sans lesquels il n'y aurait pas de blanchiment de capitaux (sic), il n'en reste pas moins que ce problème, qui reste l'un des plus graves et difficiles à résoudre dans le monde actuel, doit être combattu.

Lutter contre le fléau que représente le blanchiment des capitaux, notamment en vue du financement du terrorisme, est un devoir dont les avocats n'ont pas attendu les directives européennes pour être particulièrement responsables. Au front de cette bataille, ils doivent être libres de leurs actes pour agir en toute conscience. Il ne nous appartient pas de jeter le manteau de Noë sur le problème crucial du blanchiment de capitaux. Mais comment accepter de telles contraintes, de telles atteintes au secret professionnel et à la relation confidentielle nous liant à nos clients, pour un combat aussi noble soit-il, dont les avocats se veulent des acteurs à part entière, à condition qu'on leur fasse confiance?

Sensibles aux préoccupations qui animent l'esprit du législateur, nous proposons une vigilance à tous les instants bien sûr, une collaboration volontaire des avocats avec les autorités concernées évidemment, mais en toute indépendance et dans le respect des règles déontologiques. La confiance de nos clients et l'avenir de notre profession sont à ce prix.

Thierry VALLAT
Avocat à la Cour

   
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