Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
Expression de la volonté générale, la loi doit être appliquée par tous - nul n’est censé ignorer la loi - … et donc applicable.
« Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure », dénonçait déjà Montaigne dans ses Essais.
Depuis que l’illustre philosophe a couché ces mots sur le papier, notre arsenal législatif n’a pour autant cessé de s’alourdir, de se complexifier et donc de s’obscurcir.
C’est donc tant au nom du bon sens le plus élémentaire que d’un droit s’imposant à lui que le législateur est tenu de veiller constamment à ce que la loi soit applicable. Il lui appartient de le faire, bien entendu, lorsqu’il l’adopte, mais cet impératif catégorique, permanent, doit également porter sur les lois existantes. En effet, l’applicabilité des lois étant contingente, il est du devoir du législateur de veiller à purger le paysage juridique de celles qui, applicables hier, ne le sont plus aujourd’hui.
C’est pourquoi l’initiative a été prise du lancement au Sénat d’une mission dite « B.A.L.A.I. » (Bureau d’Abrogation des Lois Anciennes Inutiles). Le Bureau du Sénat a approuvé cette initiative et a ainsi souhaité que la Haute Assemblée contribue pleinement à cette phase essentielle, bien que souvent oubliée, de la mission normative de la représentation nationale.
Cette mission « B.A.L.A.I. » a donc été chargée d’identifier les textes qui ont fait leur temps, de faire la chasse aux fossiles législatifs, dont l’esprit s’est évaporé mais dont la lettre perdure, comme gravés de manière indélébile dans le marbre. Ce stock de lois est de nature à rendre leur accès plus ardu et leur compréhension plus épineuse, en ne permettant pas de séparer les lois réellement effectives de celles qui n’ont plus qu’un intérêt archéologique.
Comme l’écrivait déjà Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
C'est donc ainsi qu'une PROPOSITION DE LOI n°8 "tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes" a été déposée au Sénat le 3 octobre 2018 et marque la première étape d’une opération qui, au nom de la crédibilité du droit et de sa lisibilité, a pour ambition de supprimer des textes ne répondant plus en rien aux canons de la loi tels que les avait déjà recensés Portalis : « la loi permet ou elle défend, elle ordonne, elle établit, elle corrige, elle punit ou elle récompense ».
Elle est le fruit d’un examen des textes limité, pour l’heure, aux lois adoptées entre 1800 et 1940. Elle propose l’abrogation de 44 d’entre elles.
Seules ont été passées au crible les lois qui, au cours des deux dernières décennies, auraient pu tomber dans les oubliettes de la République faute d’avoir donné lieu à modification par le législateur, à exécution par le pouvoir réglementaire ou à application par un juge.
Au sein de cet échantillon, seules les lois manifestement inutiles ont été regardées comme obsolètes et comme devant, en conséquence, être abrogées. C’est donc sans prétendre à l’exhaustivité, et en gardant à l’esprit que l’initiative « B.A.L.A.I. » conduira au dépôt ultérieur de nouvelles propositions de loi, qu’il est donc proposé d’abroger 44 lois dont:
- La loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction (1°), dont ne subsiste, depuis l’abrogation de l’article 2 par la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-159 QPC du 5 août 2011, qu’un seul article constituant lui-même une disposition d’abrogation ;
- La loi du 29 janvier 1831 portant règlement du budget définitif de l’exercice 1828 et des dispositions sur la déchéance des créanciers de l’État, sur la division du budget des dépenses, etc. (2°), dont les dispositions encore en vigueur, qui prévoient une subdivision par chapitre des budgets des ministères, sont obsolètes au regard de la subdivision mission/programme/action prévue par la loi organique relative aux lois de finances n° 2001-692 du 1er août 2001 ;
- La loi des 8 mars – 5 et 15 juillet 1850 sur les sociétés de secours mutuels (3°) qui, soumettant les dons et legs aux mutuelles à autorisation administrative, contrevient désormais directement au choix du législateur exprimé à l’article L. 114-43 du code de la mutualité ;
- La loi du 15 mai 1850 portant fixation du budget des dépenses de l’exercice 1850 (4°), qui édicte encore des interdictions (sur l’ordonnancement et la liquidation de dépenses et sur la demande par les ministères de crédits extraordinaires) couvertes par la loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées, notamment par son article 9 ;
- La Loi du 31 mai 1854 portant abolition de la mort civile, dont l’obsolescence se déduit de son intitulé même (5°).
La mort civile consistait en l'extinction légalement prononcée, pour une personne, de sa personnalité juridique, ce qui emportait une privation générale de ses droits: la personne était réputée ne plus exister !
La mort civile était prononcée comme une peine supplémentaire pour les personnes condamnées à des peines de prison à perpétuité ou à la peine de mort.
Cette mort civile avait été effacée du Code pénal par l’Assemblée constituante, mais était reparue dans les lois révolutionnaires de la Convention contre les émigrés et contre les prêtres déportés. Le décret du 9 février 1792, qui ordonnait le séquestre de leurs biens, ne tarda pas à être suivi de celui du 27 juillet, qui en prononçait la confiscation. Ce fut le décret du 28 mars 1793, rendu par la Convention, qui, le premier, réintroduisit la mort civile.
L’article 1er déclarait les émigrés bannis à perpétuité, et morts civilement, et leurs biens acquis à la République. Les effets de la mort civile n’avaient jamais été aussi étendus qu’ils le furent alors. La République devait recueillir, non seulement les successions échues aux émigrés, en ligne directe et collatérale, depuis leur émigration, mais encore celles qui leur écherraient par la suite pendant cinquante années.
Des lois successives modifièrent ces divers décrets, jusqu’à la Charte de 1814 et à l’ordonnance royale du 21 août de la même année, qui prononcèrent l’entière abolition des mesures révolutionnaires. En 1803, époque où parurent les premiers titres du Code civil, les effets de la mort civile n’étaient plus applicables qu’aux seuls émigrés exceptés de l’amnistie accordée par le sénatus-consulte du 6 floréal an X (26 avril 1802), des condamnés à mort par contumace ou en instance d’exécution, des condamnés aux travaux forcés à perpétuité et des déportés.
Les effets de la mort civile étaient alors fixés dans l’article 25 du Code civil.
Le condamné qui a encouru la mort civile perd la propriété de tous les biens qu’il possédait. Sa succession est ouverte comme elle le serait par sa mort naturelle ; mais la loi ne lui permet point de disposer de ses biens ; elle le répute mort intestat ; ses biens sont dévolus à ses héritiers légitimes. Toute disposition de dernière volonté, qu’il pourrait avoir faite antérieurement à sa mort civile, demeure sans effet (article 25). Les successions, qui se seraient ouvertes en sa faveur, sont dévolues aux héritiers qui y auraient eu droit par représentation , comme s’il était mort naturellement (article 744).
Le mort civilement ne peut plus recueillir aucune succession, ni recevoir soit par donation entre-vifs, soit par testament (article 25). Il ne peut être nommé tuteur, ni concourir aux opérations relatives à la tutelle (article 25) ; il perd la tutelle de ses propres enfants (article 390). Il ne peut être admis à porter témoignage en justice (article 25), pas même pour y donner de simples renseignements. Il ne peut être témoin dans un acte solennel ou authentique (article 25). Il est incapable de contracter un mariage qui produise aucun effet civil (article 25). Un tel mariage, s’il était contracté, n’établirait aucune communauté entre les époux ; les conventions matrimoniales seraient sans effet ; les enfants seraient illégitimes.
Le mariage que le mort civilement aurait contracté précédemment, est dissous quant à tous ses effets civils (articles 25 et 227). Les enfants conçus depuis cette dissolution cessent d’être légitimes. L’époux du mort civilement et ses héritiers peuvent exercer respectivement les droits et les actions auxquels sa mort naturelle donnerait ouverture (article 25). La mort civile entraînera donc la dissolution et le partage de la communauté si les époux sont mariés sous ce régime (article 1441). La femme pourra répéter sa dot, s’ils sont unis sous le régime dotal. Elle pourra aussi exiger les avantages nuptiaux, les gains de survie qui lui auraient été assurés. Les droits d’usufruit, d’usage et d’habitation, s’éteignent par la mort civile comme par la mort naturelle (articles 617 et 625).
La loi du 8 juin 1850 ne supprima la mort civile que pour les condamnés politiques à la déportation, à laquelle on substituait alors la dégradation civique.
La loi du 31 mai 1854 l’abolit définitivement et va donc être, à son tour, prochainement abolie.
A noter que l'article 617 du Code civil disposait encore jusqu'en 2009 que "l'usufruit s'éteint : Par la mort naturelle et par la mort civile de l'usufruitier..."
et que jusqu'au 1er juillet 2002 l'article 718 du Code civil, disposait que "Les successions s'ouvrent par la mort naturelle et par la mort civile".
Un coup de Balai s'imposait donc.