Blog d'actualités juridiques par Maître Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris (33 01 56 67 09 59) cabinet secondaire à Tallinn ISSN 2496-0837
Les ICOs bientôt régulées en France avec le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) qui vient d'être déposé à l'Assemblée nationale le 19 juin 2018,
L’article 26 de la loi PACTE est en effet relatif relatif à la création d’un régime français des offres de jetons.
Les » offres initiales de jetons » (« Initial Coin Offering » ou « Initial Token Offering » en anglais), c’est-à-dire les levées de fonds via un dispositif d’enregistrement partagé (notamment au moyen de la technologie dite « blockchain » ou « chaîne de blocs ») via l’émission de « jetons » numériques, se sont développées de manière spectaculaire au cours de l’année 2017.
Cet essor dynamique, conforté sur les premiers mois de l’année 2018, traduit l’attrait de ce nouveau mode de financement et d’investissement, en particulier au sein de l’écosystème blockchain mais, plus largement, pour les entreprises innovantes qui souhaitent attirer de nouvelles catégories d’investisseurs ou de clients, selon des modalités inédites.
Ces opérations échappent néanmoins pour l’instant à un cadre juridique clair, dans la mesure où, au regard du droit français et du droit européen, les « jetons » ainsi émis peuvent être qualifiés juridiquement de différentes manières selon leurs caractéristiques propres. En particulier, la plupart de ces jetons ne répondent pas aux éléments de définition des titres financiers.
Cette situation a pour avantage de laisser libre cours à l’innovation. Elle a néanmoins pour inconvénient de mettre sur le même plan tout type d’émetteur et de projet, sans fournir aux souscripteurs de jetons des moyens suffisants pour distinguer les offres sérieuses de celles abusives, et les acteurs qui mettent en œuvre des diligences en matière d’information, d’identification et de connaissance du client, de ceux qui ne respectent aucune règle.
Dans l’attente de règles européennes et internationales, nécessaires sur ces sujets par nature transnationaux, il apparaît souhaitable, pour mieux protéger les acquéreurs de jetons et les porteurs de projets « légitimes », de permettre à l’AMF de délivrer un visa aux acteurs qui souhaiteraient émettre des jetons destinés notamment au marché français pour le financement d’un projet ou d’une activité, sous réserve qu’ils respectent certaines règles de nature à éviter des abus manifestes et à informer et protéger l’investisseur.
On parle donc désormais "d'offre au public de jetons" ou OPJ réglementée par les articles suivants du code monétaire et financier
Le dispositif prévu dans le projet de loi PACTE prévoit donc de :
- « rendre l’Autorité des marchés financiers compétente pour superviser les émissions de jetons qui échapperait au cadre actuel de la réglementation financière, notamment celui des offres au public de titres financiers ;
- mettre en place au niveau législatif des contraintes minimales (existence d’une personne morale, mise en place d’un dispositif de séquestre), qui pourront être complétées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers ;
- autoriser l’Autorité des marchés financiers à délivrer un visa aux acteurs qui respectent les contraintes posées, permettant ainsi aux investisseurs de distinguer les acteurs légitimes et incitant ces derniers à mener leurs projets en France »
L’AMF se verrait ainsi confier le soin d’examiner les documents élaborés par les émetteurs de jetons en amont de leur offre (« white paper »).
Elle pourrait en outre exiger que les émetteurs se dotent d’un statut de personne morale établie ou immatriculée en France, mettent en place un mécanisme de séquestre des fonds recueillis, ou tout outil d’effet équivalent, et un dispositif d’identification et de connaissance du client. Les acteurs ainsi labellisés figureraient sur une « liste blanche », sur laquelle l’AMF communiquerait auprès du grand public, qui identifierait les acteurs qui respectent ces règles et leur fournirait un gage important de respectabilité auprès des souscripteurs.
Les jetons présentant les caractéristiques d’un titre financier resteraient néanmoins soumis au régime de l’offre au public de titres financiers.
ll sera possible de candidater au “visa ICO” en disposant seulement d’un lien en France, le siège et le lieu de l’ICO pouvant être dans d’autres pays, afin de faire de la France l'une des principales places pour les ICOs et concurrencer ainsi la Suisse ou Malte.
Resterait à définir un cadre légal à la détention au transfert de propriété des cryptoactifs via la blockchain et réguler le marché secondaire.
Le Conseil d'Etat s'est montré assez réservé et a tenu à souligner le caractère provisoire de cette régulation, qui devra certainement être adaptée : « ce régime est susceptible d’évoluer à l’avenir en fonction tant des évolutions technologiques et économiques que du contexte normatif européen et international » (CE, 14 juin 2018, avis n° 394.599 et 395.021).
Les débats sont prévus à l'Assemblée en procédure accelérée début septembre 2018
Retrouvez nos derniers articles sur le sujet:
Blockchain et cryptoactifs: vers une procédure de visa
La blockchain et les cryptoactifs sont-ils solubles dans le RGPD
Blockchain, ICOs et cryptoactifs: Me Thierry Vallat a participé à la CryptoKonf2018
Une réglementation des ICO présentée le 18 juin 2018
Retrouvez le projet de loi déposé à l'AN le 19 juin 2018 http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/15/projets/pl1088/(index)/projets-loi
(crédits dessin: Cabinet Thierry Vallat)